La voile au service d’un transport maritime éco-responsable

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Je ne vous apprends rien quand je vous dis que le transport maritime, un secteur majeur de l’économie mondiale, est malheureusement responsable de nombreuses émissions de gaz à effet de serre. Ce que je vous apprends peut-être, c’est que chez Javry, une partie de nos cafés sont transportés à la voile.

Dans cet article, basé sur une conférence que j’ai donnée durant le festival The Wonder à Bruxelles, je vais explorer cette solution pas si innovante : le transport de marchandises par voilier. Retraçons le contexte, les avantages, les défis et les perspectives de cette approche éco-responsable. Je vous explique aussi les objectifs de Javry sur ce thème très excitant. 

L’empreinte carbone du transport maritime traditionnel

Accroche-toi, ce n’est pas la partie la plus fun. Mais pour trouver des solutions, il est nécessaire de faire un point sur la situation actuelle du transport maritime. 

Il y a à peu près 100 000 porte-conteneurs sur terre – ou plutôt, en mer. Ils représentent 80 % du volume de marchandises en tonne par kilomètre expédiées sur Terre. C’est le mode de déplacement qui achemine le plus de marchandises sur les plus longues distances.

Ces mastodontes utilisent du fioul lourd, contribuant ainsi de manière significative aux émissions de CO2 et de gaz à effet de serre. Et on sait également qu’un litre de combustion de fioul lourd va générer 3500 fois plus de particules fines qu’un moteur diesel qui va brûler un litre de diesel. Ces particules fines sont néfastes pour la santé, comme le prouvent des études scientifiques depuis plus de vingt ans.

Outre les émissions de gaz à effet de serre, les porte-conteneurs posent des problèmes environnementaux majeurs, tels que les collisions avec la faune marine et les dégazages de fioul qui, entre autres, acidifient les océans

L’Organisation Mondiale du Commerce prévoit un doublement du volume du transport maritime d’ici 2050, et donc un doublement de la production de gaz à effet de serre de ce secteur. Cette réalité peu reluisante met en évidence l’urgence de repenser le transport maritime. 

Le porte-conteneur en comparaison avec les autres moyens de transport

Le porte-conteneur n’est pas complètement absurde comme moyen de transport, quand on le compare en termes d’ordre de grandeur au train, au camion et à l’avion, toujours avec mes fameux tonnes par kilomètre. 

Si on regarde la quantité de CO2 émise par tonne transportée sur un kilomètre avec un porte-conteneur, on parle de 12 grammes de CO2. C’est quasi la même chose que le train, voire même un peu inférieur. Par contre, c’est 5 fois moins que le camion, et 50 fois moins que le transport par avion.

Là, vous allez dire: “c’est bizarre ce que tu racontes, le transport maritime est dégueulasse, mais à la fois, c’est un des moyens de transport les moins émetteurs CO2 par kilomètre”. 

Les deux constat sont justes. Le lien entre les deux, c’est la distance !

Le transport maritime est le moyen de transport le plus utilisé (toujours en termes de tonnes par kilomètre) parce que les marchandises sont transportées à travers d’océans qui sont extrêmement vastes. Le nombre de kilomètres parcourus par un kg de marchandise est donc beaucoup plus élevé sur mer que sur terre. C’est cette longue distance sur mer qui en fait un moyen de transport très polluant.

Le transport maritime est donc inévitable pour les marchandises telles que le café. Par contre, des solutions de transport maritime plus vertueuses commencent à voir le jour…

Propulser nos marchandises à la force du vent

Cette solution, c’est pour moi la solution viable. Et ce n’est pas une innovation : elle a été utilisée énormément par le passé. Certes, elle a été mise de côté par contrainte de vitesse pour expédier la marchandise beaucoup plus rapidement, en pensant que les ressources étaient illimitées (spécifiquement le pétrole). Depuis – et encore une fois, je ne vous apprends rien – on sait que le fioul lourd n’est pas une ressource sans fin.

Regarder dans le passé pour s’en inspirer, c’est ce que TOWT a décidé de faire depuis plusieurs années. 

À l’origine du projet , TOWT & Belco

TOWT est une néo-compagnie maritime à l’origine du projet de transport de marchandises à la voile. À droite de la photo, c’est Guillaume Le Grand, le cofondateur et gérant de TOWT. A gauche, c’est Alexandre, le fondateur de Belco, qui est une entreprise de sourcing de café avec laquelle Javry travaille. 

À droite, Guillaume Le Grand, cofondateur et gérant de TOWT. À gauche, Alexandre, fondateur de Belco (entreprise de sourcing de café avec laquelle Javry travaille). 

Après avoir entendu parlé du projet TOWT, Alexandre est convaincu et commence à parler de l’importation du café à la voile aux torréfacteurs avec lesquels ils travaillent. Il se trouve justement que Pierre-Yves, mon associé, et moi, on est férus de voile. Forcément, le projet nous parle tout de suite. 

En 2021, TOWT et Belco nous proposent un test : transporter 22 tonnes de café vert à la voile entre la Colombie et la France. On est les seuls en Belgique à y croire, mais nous, on est convaincus. 

Pour la première itération, notre café vert a embarqué sur l’Avontuur, une goélette des années 1800.

Le plus grand voilier-cargo du monde

Le test a permis de valider qu’il y avait de la demande, même si ce n’était pas facile – j’en parle ci-dessous dans les défis. Et malgré le coût prohibitif, le test a montré à TOWT ce qu’ils attendaient: ils pouvaient passer à la vitesse supérieure. 

La vitesse supérieure, c’est quoi ? C’est construire un “vrai” voilier cargo, pas la goélette du passé. Celui-ci va permettre de décupler le volume transporté. Voici un ordre de grandeur pour comparer :

  • En vert, la goélette Avontuur qu’on a utilisée pour les tests, 35 tonnes transportables par trajet. 
  • En vert foncé, le fameux voilier cargo en construction actuellement, 1100 tonnes transportables par trajet. 
  • En grisâtre, le porte-conteneur au fioul lourd, 38 000 tonnes transportables par trajet. 
La construction de la coque s’est produite en Pologne, avant d’être acheminée au port de Concarneau, en France.

Quelques caractéristiques du voilier cargo (le plus grand u monde !) pour se rendre compte de l’ampleur du projet: 

  • Longueur : 80 mètres, grosso modo un petit terrain de foot.
  • Hauteur : 64 mètres une fois que les mâts seront placés.  
  • Capacité : 100 conteneurs, donc plus ou moins 1100 tonnes. 
  • Vitesse moyenne : 11 nœuds. Les porte-conteneurs classiques ont une vitesse entre 12 et 15 nœuds, en fonction du type de porte-conteneurs. 
  • En termes d’émission de CO2, rappelez-vous qu’on était à une moyenne de 13 grammes pour le porte-conteneur et le train. On passe à 2 grammes. 

Les avantages du transport maritime à la voile

Décarbonation

C’est indéniable : le transport à la voile est bien plus écologique que le transport classique par porte-conteneur. On n’en doutait pas, mais on préfère avoir des données chiffrées. On parle de:

  • ➤ 90% de CO2 en moins,
  • ➤ 98% de soufre en moins,
  • ➤ 92% d’oxydes d’azote en moins,
  • ➤ Pas de méthane, 
  • ➤ Pas de particule fine. 

Impact positif sur la biodiversité

Les voiliers cargos sont moins bruyants, réduisant ainsi les collisions avec la faune marine. De plus, les risques de déversement de pétrole sont considérablement réduits puisqu’il y a très peu de fioul à bord. 

Utilisation d’une ressource inépuisable

Ceux qui font un peu de voile savent que le vent est assez prédictible grâce aux modèles météorologiques. C’est une ressource abondante, certainement en haute mer, et donc tout à fait utilisable sur la durée.

Réduction des coûts à long terme

Alors que le coût du pétrole augmente, le transport à la voile deviendra plus compétitif. Aussi, depuis cet été, le transport maritime est entré dans le système européen des quotas carbones. Ce qui signifie que les compagnies maritimes devront payer leur pollution, et donc forcément répercuter ce surcoût sur leurs factures. Encore un point pour la réduction de l’écart de prix entre la voile et le conventionnel.  

Cales dédiées

Cette solution offre également la possibilité de dédier des cales spécifiques à certains produits comme le rhum, les bananes ou – you guessed it – le café. 

Sur les porte-conteneurs classiques, les conteneurs sont à l’extérieur, en direct avec l’atmosphère. Garder certains produits frais nécessite beaucoup d’emballages, ce qui n’est pas le cas pour les voiliers équipés de cales dédiées.

Transport dédié

Le transport à la voile permet de gérer des volumes importants pour une seule entreprise. Ici, l’avantage est double : premièrement, ça réduit les temps d’opération. Le voilier amène les marchandises à un seul endroit, et une seule entreprise les récupère. Il peut ensuite repartir rapidement. Les porte-conteneurs classiques transportent des conteneurs qu’ils doivent récupérer et livrer dans plusieurs ports, augmentant ainsi les temps de transit. 

Deuxièmement, avoir un moyen de transport dédié à un type de marchandise permet d’améliorer la transparence de nos produits. Pour chaque trajet et chaque produit transporté, on va avoir un code. Le code va, grâce à une plateforme en ligne, permettre d’accéder aux infos en direct du voilier qui est en train de transporter le produit. Ce petit code va en plus nous permettre d’afficher les émissions réelles de CO2 générées pendant le trajet.  

Bon, vous vous en doutez, tout n’est pas rose non plus, sinon tout le monde le ferait. Dans un souci de transparence, je vais aussi vous partager les défis que le transport à la voile représente. 

Les défis de ce nouveau mode de fret

Ce n’est pas (encore) à 100% décarboné 

Il est crucial de comprendre que le transport maritime à la voile, bien qu’éco-responsable, ne résout pas complètement le problème des émissions de gaz à effet de serre. Les diminuer de 90% c’est bien, mais il en reste.

Temps de transport 

Le temps de traversée est 30% plus élevé par rapport à un transport en porte-conteneur classique MAIS ceci est compensé par le temps opérationnel réduit une fois à quai, comme expliqué ci-dessus, et par l’absence d’escales. Au final, un trajet direct à la voile est plus court qu’un trajet avec escale d’un porte-conteneur pourtant plus rapide.

Un surcoût certain, pour le moment

Aujourd’hui, le coût du transport est plus haut que lors de l’utilisation de porte-conteneurs classiques. Le coût impacte nos marges, mais aussi le prix du café pour le consommateur final. 

Mais ça, c’est aujourd’hui. À terme, on sait que le prix du baril va augmenter – on l’a déjà vu lors de l’envolée du prix du pétrole ces derniers mois – et donc le coût du transport classique va en être impacté.

On s’est aussi très vite rendu compte que le prix d’importation devenait très, très intéressant quand le canal de Panama a été bloqué et quand le conteneur classique est passé de 3 000 $ à 12 000 $ en un rien de temps. D’un coup, le voilier cargo est devenu hyper hype !

Difficultés commerciales

Le coût légèrement supérieur du café importé à la voile peut constituer un obstacle. On est conscient que tout le monde ne peut pas se le permettre d’acheter du café plus cher. Trouver des consommateurs et des entreprises prêts à investir dans des produits plus respectueux de l’environnement reste un défi.

Les perspectives pour l’avenir

Reprenons un peu de hauteur. La création de ce voilier est déjà un fait incroyable et c’est la première version d’un projet sur le long terme. Le voyage ne fait que commencer. 

La preuve est faite que financièrement, le transport par voilier va être bien plus intéressant sur le long terme. Écologiquement, la preuve est faite aussi. Il n’y a plus beaucoup de frein à l’utilisation de ce genre de méthodes et à son amélioration. C’est maintenant une question de moyens, et de porteurs de projets qui vont avoir envie de concurrencer. 

  1. Du côté de TOWT
    • TOWT a créé des emplois, réduit les émissions de CO2 et prévoit la construction de nouveaux voiliers cargo, en plus de ceux déjà en route. 
  2. Du côté de Belco
    • Belco devrait transporter 20% de son café à la voile en 2024 avec des connexions avec la Colombie et le Brésil.
    • D’ici 2030, l’importateur prévoit d’importer presque 100% de son café à la voile. 
  3. Du côté de Javry
    • on prévoit de réintégrer de manière fixe deux cafés importés à la voile en 2024 et d’agrandir notre offre avec chaque nouveau café.
    • en 2025, on veut que 50% de nos cafés soient importés à la voile
    • Notre but est de propager ces cafés à un prix abordable avec la qualité qu’on connaît et l’éthique qui caractérise notre projet jusqu’ici.

Le transport maritime à la voile représente une lueur d’espoir dans la lutte contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Bien que des défis subsistent, les avantages en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de préservation de la biodiversité et de développement économique en font une solution prometteuse pour l’avenir du transport maritime éco-responsable.

Le café importé à la voile par Javry

café transporté à la voile

En août 2024 aura lieu le premier chargement d’un café originaire de Colombie : il s’agit du Granja Fabrica BIO, notre café bio à la voile superstar. Il sera suivi de près par un café brésilien, disponible chez Javry pour mars 2025 environ. À terme, 100% de nos cafés brésiliens seront importés à la voile.

J’ai grande hâte de vous faire visiter le voilier-cargo virtuellement, de vous montrer les étapes qui nous séparent de la première livraison et de vous faire vivre tout simplement cette aventure qui permet d’envisager un monde plus respectueux de notre planète bleue.

Pour aller plus loin

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